Matricule 44723 (extraits)
par Arthur Simon
La première image qui m'a
frappé en arrivant à Flossenbürg est cette
tour en ruine se détachant dans le clair de lune, c'était
en hiver et il faisait très froid. Depuis je garde toujours
en moi l'image de cette tour en ruine ! Et cette image, je l'ai
retrouvée quand je suis retourné à Flossenbürg
lors du cinquantième anniversaire de la libération
des camps.......
..........nous avons été
conduit au pas de course dans un local où nous avons été
obligés de nous déshabiller, nous avons dû
laisser tous nos vêtements et aussi nos souliers sur place,
puis toujours tout nus et en courant dans la neige nous sommes
allés jusqu'aux douches......
...... nous avons reçu des
vêtements secs, des pyjamas rayés, et naturellement
pas de sous-vêtements, aux pieds des bandes de tissus, que
nous devions rouler autour de ceux-ci pour faire office de chaussettes,
des souliers avec des semelles en bois et un numéro que
nous devions coudre au-dessus de la poche.. Et dès ce moment
là nous n'étions plus que des numéros qui
seront notre identité jusqu'à la fin : mon numéro
est le 44723......
....... j'ai eu la malheureuse idée
de sortir de la baraque et voyant des kapos discuter, je me suis
adressé à eux pour demander un renseignement, je
suppose que c'était la première fois que cela se
passait, après un moment, ils m'ont dévisagé.
Puis brusquement ils se sont déchaînés et
en hurlant se sont précipités sur moi. A coups de
matraque et de coups de pieds ils m'ont flanqué sur le
sol, et toujours en cognant et m'insultant, ils ont continué
à me frapper . J'ai pu me dégager, me sauver et
regagner ma baraque tant bien que mal, c'était ma première
expérience du camp........
....... Nous sommes restés
quelques jours à Flossenbürg toujours dans la même
baraque. Et après dix jours, je pense, on nous a rassemblés
et conduits vers un commando qui s'appelait Saal am Donau (un
commando était un satellite d'un grand camp)......
...... Comparé à Flossenbürg,
Saal faisait triste mine et semblait un camp de "laissés
pour compte".......
.........Cela commençait
le matin à 6 heures dès le réveil, le réveil
se faisait d'une façon brutale, par des cris des hurlements
qui était sensés être des ordres mais qu'on
ne comprenait pas toujours......
........tous les matins c'était
le même scénario, alors seulement on partait au travail,
le premier travail consistait à sortir les morts de la
baraque, à les aligner sur le sol, inscrire les numéros,
faire la liste des numéros et les donner à celui
qui faisait l'appel........
...... j'ai laissé tomber
le sac que je portais, j'ai attendu, et l'Allemand qui surveillait
le déchargement s'est précipité sur moi en
hurlant. Il a pointé son arme, a pressé la détente
mais le coup n'est pas parti. Je pense que l'arme s'était
enrayée. Il a réarmé, de nouveau a pressé
la détente, et le coup n'est toujours pas parti. De rage
m'a frappé avec son arme au travers de la figure.......
....... Nous devions aller chercher
notre nourriture à quelques kilomètres, et pour
aller chercher cette nourriture, qui en fait n'était que
de l'eau bouillante dans laquelle nous pouvions trouver quelques
patates, nombre de prisonniers mourraient tous les jours durant
cette marche.
......il y avait les appels et contre-appels,
on était réveillé en pleine nuit et on devait
se rendre à l'Appellplatz. On y restait pendant parfois
un ou deux heures dans le froid. A attendre quoi ? Personne ne
l'a jamais su. Puis on rentrait. Et cela pouvait se produire jusqu'à
deux ou trois fois par nuit ! Pour dormir nous étions obligés
de nouer nos vêtements sur nous, sous peine que tout disparaisse
pendant la nuit......
..... tous les jours on devait sortir
plusieurs cadavres de prisonniers qui étaient morts pendant
la nuit, aussi après mûre réflexion, ma décision
était prise. Ne plus travailler et de risquer le tout pour
le tout......
.....Je me suis plaint de douleur
dans le ventre et j'ai demandé à entrer à
l'infirmerie. Or quand on sait qu'y entrer signifiait, à
court terme, terminer au four crématoire...
Le médecin a essayé de me dissuader, mais j'ai tenu
bon. Les copains sont venus aussi pour me faire changer d'avis,
mais ma résolution était prise, et contre l'avis
de tous je suis entré au revier......
...... c'était un endroit
infect et nauséabond, les prisonniers qui l'occupaient
étaient à toute extrémité. En fait,
on n'entrait pas au revier, on y était envoyé quand
on ne servait plus à rien.
.....Tous n'avaient pas le temps
ou étaient incapables d'aller au dehors pour se soulager,
et ils se soulageaient sur leur paillasse......
..... Je sortais peu en évitant
de me mettre en évidence, parce qu'un prisonnier dans un
revier et qui était dans mon état - j'étais
encore capable de marcher - pouvait faire se poser certaines questions......
.... je me lavais tous les matins
ce qui était une condition indispensable pour rester "
civilisé " et j'y tenais beaucoup..........
...... brusquement tout change,
nous avons déménagé de baraque, et celle
que nous devions occuper se composait d'un simple toit posé
à même le sol et sous lequel on entrait par une espèce
d'escalier en pente. Là nous devions grimper sur les flancs
et nous coucher dans la paille qui, heureusement, était
relativement propre. Nous n'avions pour nous couvrir qu'une couverture
pleine de poux, nous étions nus puisque nous étions
là pour mourir.......
....... j'avais attrapé la
dysenterie, et pour me soigner, je mélangeais le peu de
pain que nous recevions le matin avec de la boue et du charbon
de bois, au bout d'un certain temps ma dysenterie s'est arrêtée.
Combien de jours sommes-nous restés dans ce cloaque je
ne m'en souviens plus.....
..... Un matin les Allemands nous
ont averti que le camp devait être évacué
et le trajet allait se faire soit à pieds, soit en camions.
........ j'ai pu convaincre le Français
qui était avec moi qu'il serait plus raisonnable de partir
à pied, ce que nous avons fait. Le trajet pour arriver
à la gare devait faire quelques km et durant cette marche
plusieurs prisonniers sont morts d'épuisement ou on été
abattus par les SS. Nous étions dans un tel état
d'affaiblissement que marcher devenait un véritable calvaire....
...... pour manger nous avions rempli
nos poches d'herbes que nous arrachions sur le bord du chemin
et de sel (qui, je pense, devait servir pour dégeler les
routes).....
....les prisonniers qui avaient
choisi d'être transportés par camions on ne les a
jamais revus....
.... Cela a duré certainement
six ou sept jours. Pendant la journée nous étions
souvent survolés par des avions américains qui descendaient
pour, je pense, s'assurer que ce n'était pas un train de
troupe parce que nous n'avons pas été bombardés,
mais en revanche nous avons été mitraillés.
C'était sans doute de la part des avions américains
une forme de dissuasion, du moins je le suppose. Finalement, nous
sommes arrivés à Dachau...
.... De mon wagon nous étions
encore quatre sur 80. En descendant j'ai été accroché
par ma veste et je suis resté suspendu dans le vide, un
SS m'a arraché de ma position et je suis retombé
heureusement de l'autre côté de la ligne formée
par les soldats qui surveillaient le déchargement. J'ai
pu rejoindre les autres prisonniers et nous avons été
dirigés vers les douches......
..... Le lendemain un prisonnier
juif est entré dans la baraque, en demandant s'il y avait
des belges dans le convoi qui venait d'arriver. J'ai levé
la main et il m'a donné un morceau de pain d'épice
et un morceau de chocolat ; quand il est sorti j'ai jeté
le tout dans les toilettes parce je n'avais jamais vu un prisonnier
donner à manger à un autre. Le lendemain il est
revenu et cette fois il m'a donné de nouveau un grand morceau
de chocolat et un morceau de pain d'épice....
..... Nous sommes restés
à Dachau sous l'autorité allemande et avec le même
système habituel de coups et vexations de tous les camps.
A un certain moment il a même été question
d'évacuer de nouveau le camp mais, heureusement, vers le
29 avril 45, nous avons entendu, autour du camp, des coups de
feu, des coups de canons et nous avons appris que les Américains
étaient aux environs du camp. Certains ont même dit
que les Américains étaient arrivés dans le
camp mais j'étais trop affaibli pour me déplacer
et tout ce dont je me souviens c'est de la visite d'un soldat
américain qui est entré dans la baraque qui nous
a regardé avec un air hébété et est
ressorti. Nous étions enfin libérés ! ! !
!!
..... Nous sommes au mois de mai
1945 et après des soins intensifs à la maison et
séjours à l'hôpital où j'avais entendu
le médecin dire à Maman " ne vous en faites
pas madame nous essayerons de vous le garder le plus longtemps
possible ". Mais ma rage de vivre était très
forte et je m'en suis sorti.
Témoignage recueilli en décembre
2000
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Copyright Anne Autin-Simon 2000-2004 / Dernière mise à jour le 24 septembre 2004