Avant-Propos
Normand d'origine, il habitait Bruxelles lorsqu'elle fut déclarée et quand il quitta sa famille pour rejoindre les rangs de l'armée française, il s'était dit : "Bon dieu que la guerre va faire du mal". De ce jour il ne devait jamais revoir les siens.
Ce calepin de campagne dans lequel il nota, scrupuleusement les petits ou grands évènements qu'il vivait mais nous cachant avec pudeur les atrocités dont il avait été le témoin, nous ne l'avons retrouvé qu'en 1984. Et sinon qu'il était mort "pour la France" le 19 juillet 1915 comme l'attestait le diplôme officiel de la République, triste et unique souvenir de son destin tragique, nous ne savions rien de lui. Un de ces mystères de famille dont les jeunes générations ignorent l'origine mais qui les rendent orphelins d'un pan de leur propre histoire.
Une citation à l'ordre de la division pour acte de bravoure, quelques médailles et des photos nous furent en même temps révélées. Voilà le maigre héritage qui nous était transmis. Mais notre richesse c'était ce prénom sur lequel nous pouvions enfin mettre un visage et ce grand-père qui se révélait à nous. Ce fut aussi la première étape de recherches qui nous permirent de retrouver en 1985, l'endroit où sont peut-être inhumés ses restes. Car après la boucherie du combat, on ne retrouva sur le terrain que les restes de centaines de soldats impossibles à identifier dont la plupart sont enterrés dans l'ossuaire de la nécropole de Albert (Somme). (*)
"Brave caporal - Quoique grièvement blessé a continué à faire le coup de feu et demandé à n'être transporté au poste de secours qu'après le combat. Mort pour la France des suites de ses glorieuses blessures". C'est en ces termes qu'il a été cité à l'ordre de la division. Dérisoire consolation pour les veuves et les orphelins de ces pauvres soldats envoyés dans la tempête soulevée par la folie des hommes.
(Nb: Mis à part des mots illisibles qui ont été remplacés par des pointillés et d'autres, incertains, qui ont été mis entre parenthèses, aucune modification n'a été apportée au témoignage qui suit)
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(*) Note du 30 septembre 2008 : La découverte en octobre 2007, dans un champ voisin du bois d'Engremont, des corps de plusieurs soldats français nous laisse à penser aujourd'hui que celui notre aïeul et ceux de certains de ses compagnons (disparus avec lui le 19 juillet 1915 lors de l'attaque sur le "bois allemand"), pourraient peut-être toujours reposer là où ils sont tombés.